Publié le 19 avril 2023
Cet article a été publié par Joséphine Lebard dans Le Monde le 27/10/2022
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Les réveils en sursaut sont certes désagréables mais ils peuvent s’avérer salutaires. Celui de
Mehdi Coly se range dans cette catégorie. En 2017, le jeune entrepreneur se trouve aux EtatsUnis où il développe ses activités autour d’un logiciel de référencement. Sur Facebook, celui
qui se dit alors « un pur start-upper de la start-up nation » se fait interpeller par des partisans
de la collapsologie. « Ils me disaient que la croissance infinie dans un monde fini, ce n’était
plus possible. »
Mehdi Coly se lance alors dans la lecture des livres de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici et de Pablo Servigne, théoricien de l’effondrement. « Après ça, je n’avais plus du tout envie de continuer », raconte-t-il. La naissance de son premier enfant, en 2018, enfonce le clou. « Je sais bien qu’il est trop tard pour éviter la catastrophe. Mais je veux pouvoir dire à mon fils que j’aurai tout fait pour la limiter. »
De retour en France, le trentenaire titulaire d’un master de droit européen partage ses réflexions avec Nicolas Sabatier, un comparse de ses années de fac de droit à Lyon-III pour co-construire avec lui le projet. Les deux amis ont monté, quelques années auparavant, une société de colonies de vacances inclusive. Puis chacun a repris sa route… Mais l’urgence climatique les rattrape. Reste à savoir comment agir. « L’idée c’était de prendre le meilleur de l’associatif et le meilleur de la start-up, résume Mehdi Coly. Côté associatif, c’est évidemment la cause. Côté start-up, c’est de partir de rien et impacter très fort sur le monde. »
C’est ainsi qu’en 2019, la start-up Team for the Planet voit le jour, portée par les deux hommes rejoints par Laurent Morel et Denis Galha Garcia, puis par Coline Debayle et Arthur Aubœuf. Le principe de Team for the Planet ? Il trouve sa source dans les rapports du GIEC qui insistent sur l’importance de l’innovation dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Beaucoup de gens ont des idées mais peinent à les mettre en œuvre, explique Nicolas Sabatier. Nous, on repère les innovations, on y adjoint l’exécution puis on amène massivement de l’argent. » Comprendre : les scientifiques ont de bonnes idées mais ne sont pas formés au business. Team for the Planet recrute les entrepreneurs qui pourront favoriser le développement mondial de l’innovation et assure le financement.
« Au-delà des marches pour le climat, il faut des solutions concrètes », affirme Victoria Falcone, 23 ans, étudiante à l’EM Lyon et actionnaire.
Société en commandite par actions (SCA), Team for the Planet propose ses actions au prix de 1 €. Avec comme ambition à l’horizon 2026-2030 d’avoir levé 1 milliard d’euros et créé 100 entreprises. En trois ans, ce sont plus de 12 millions d’euros qui ont été collectés. Et, sur 900 innovations reçues, cinq ont été financées. Parmi celles-ci, Beyond the Sea, qui ambitionne de tracter les navires par voile libre et ainsi diminuer la consommation de carburants. Ou encore Leviathan Dynamics, qui utilise l’eau comme liquide réfrigérant plutôt que les hydrofluorocarbures, qui représentent 2 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Mais les actuels actionnaires savent qu’ils ne percevront pas de dividendes. Ceux-ci ne pourraient être perçus qu’à la condition hautement improbable que la température de la planète soit revenue à +0 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Les bénéfices sont donc réinvestis dans le développement d’innovations.
Le tennisman retiré des courts Jo-Wilfried Tsonga ou le climatologue Jean Jouzel font partie des actionnaires de la société, parmi plus de 66 000 détenteurs d’actions. « Ce sont les 25- 40 ans qui sont les plus actifs », estime Nicolas Sabatier. De fait, Team for the Planet sait parler à une génération qui a besoin qu’on s’adresse à elle autrement. D’abord parce qu’elle est consciente que le temps est compté. « Au-delà des marches pour le climat, il faut des solutions concrètes », affirme Victoria Falcone, 24 ans, étudiante à l’EM Lyon et actionnaire. Sur le site comme sur les réseaux, les vidéos dynamiques et didactiques abondent pour expliquer le projet dans ses moindres détails. « Je sais très précisément ce que fait Time for the Planet, à court, moyen, long terme », poursuit Victoria Falcone.
Une communication « un peu à l’américaine » qui a su, à la faveur d’une vidéo Facebook, parler à Marine Fourrier. Chercheuse en océanographie, la jeune femme de 26 ans a précédemment côtoyé le milieu associatif « traditionnel ». « Dans certaines associations, raconte-t-elle, on vient remplir des besoins. A Team for the Planet, on arrive avec nos compétences. Et puis j’ai le sentiment d’être davantage dans le concret, je traduis en anglais un contenu ou j’évalue une innovation… » S’ils le souhaitent, les actionnaires peuvent en effet s’investir dans « la galaxie de l’action », selon leurs intérêts ou leurs ressources. Marine Fourrier fait ainsi partie des traducteurs, tout comme Victoria Falcone. Elle intervient donc également comme évaluatrice des projets soumis au fonds d’investissement.
« On utilise les règles du jeu, mais on les détourne », reconnaît Ehouarn Cotonea, actionnaire.
Ehouarn Cotonea, 23 ans, se charge d’appeler les nouveaux actionnaires pour les remercier. Car à Team for the Planet, on a compris que le bénévole a besoin de reconnaissance. « Il y a une culture du remerciement très forte, que notre action ait duré deux minutes ou deux semaines », souligne Marine Fourrier. Et tous d’insister sur les rencontres qu’a permis Time for the Planet. « Le lien humain prime, affirme Victoria Falcone. On fait aussi des choses parce qu’on s’apprécie entre nous. Cela crée une énergie positive très forte ». Et les codes de l’entrepreneuriat ne les effraient pas : « On utilise les règles du jeu, admet Ehouarn Cotonea, mais on les détourne ».
Pragmatique, participatif, motivant, Team for the Planet cocherait toutes les cases. Mais l’idée
n’arrive-t-elle pas trop tard ? Nicolas Sabatier balaie l’objection : « Le GIEC dit qu’il est
encore temps. Aussi, tant que les scientifiques disent qu’il y a un moyen d’agir, on le fait. »
Marine Fourrier, elle, se souvient de la phrase d’un de ses enseignants durant ses années
d’étude. Celui-ci leur expliquait que la société allait dans le mur. Restait à choisir avec quelle
intensité appuyer sur le frein. « Avec Team for the Planet, j’ai justement l’impression qu’on est
plus nombreux à le faire.»